Je ne sais pas trop comment je me suis ramassé là. Je crois que ça ressemblais un peu à un mélange d'opportunités qui se sont bien adonnées. En d’autres mots, j’avais du sommeil à rattraper, des classes à sauter et j’étais tombé sur le parfait endroit pour le faire. J’avais des cernes qui ressemblaient à des canyons sous les yeux et la tête d'un mec qui n'avait pas dormi depuis dix ans. Pas étonnant quand t’avais un dragon aux horaires de sommeils aussi détraqué que son caractère. Il passait ses nuits à me mordiller les cheveux en tirant mes couvertes, dans l’espoir heureux que j'accepte peut-être de le sortir en forêt. Ajouté à ça deux ou trois heures de couinements plaintifs, qui fessait de dormir un exploit olympique. Heureusement pour lui, les seules armes que j’avais à ma portée, c’était mes oreillers. En général, après un ou deux coups de coussin, il voulait bien se la fermer. Ensuite, il se glissait généralement sous mes couvertes, pour se poser sur mon torse et la tête au creux de ma nuque. Un truc pas possible, qui me donnait toute les peines du monde à respirer, je ne vous le fais pas dire.

Présentement pelotonné sous mon hoodie, dans sa position préférée. Il aurait quasiment pu avoir l’aire mignon, si ça ne tenait pas qu’a ses griffes qui raclaient une fois de temps en temps ma peau à vif dans un spasme quelconque. Heureusement, je fessais partie des chanceux qui pouvait dormir dans à peu près n’importe qu’elle circonstances. Assise à même le sol, la tête appuyée contre une rangée de bouquins miteux, je vaquais à ce que je savais faire le mieux : procrastiner. À mon niveau, ça en était quasiment un art. Dès que les professeurs relâchaient un instant leur attention, j’en profitais pour m’éclipser de mes classes incognito. J’avais peut être un dragon indiscipliné, mais vu ça taille, il risquait de bouffer personne. De toute façon, la seule chose qui lui importait, c’était de me pourrir la vie. Pas comme s’il allait un jour me faire la fleur de disparaitre dans la nature...

Perdu quelque part entre rêve et réalité, un sifflement furieux me tira subitement de mes songes. Je poussai un profond soupire et poussa la tête de Spoon plus profondément dans mon chandail, pas moyen de fermer les yeux deux secondes dans ce monde de taré. Le bruit persista toutefois et la bête commença à s'agiter sous mes doigts. Je daignais enfin ouvrir les yeux, pour découvrir un dragon invisible et mécontent sous mes vêtements.

« Shut up spoon, it’s only been an hour... ”

Un bruit de pas me fit taire. J’étirais l’oreille tandis que Spoon profitait de ma distraction pour s’envoler. Enfin, à ce que j’ai pu entendre de ses battements d’ailes, ce petit salaud avait recouvert un masque d’invisibilité. Silencieuse, je levais les yeux sur la rangée face à moi. Au travers, je pus discerner une fente obscurcie par la nuit. J’en déduis que j’étais certainement endormi depuis plusieurs heures, mais ce ne fut pas ce qui réussit à étirer un sourire en coin sur mon visage.

« Si ce n'est pas ma victime favorite… »

Xue, les cheveux noirs en bataille, s'avançait innocemment entre les piles de livres. Silencieusement, je me levais et m’accota au début de la rangée ou il se trouvait et alors qu’il passait à ma portée, j’étirais la jambe. Va s’en dire que le plongé fut plutôt spectaculaire.

Bien entendu, je n'avais pas retenu mon rire.

« Désolé, je ne t’avais pratiquement pas vu… »

Sortant de ma bouche, ça avait l’aire aussi sincère que le discours d’un politicien. Amusé, je m'agenouilla à sa taille et lui décocha un regard moqueur.

« Je te donnerais bien un coup de main, mais j’ai peur que ton truc soit contagieux. » Lui dis-je dans une fausse moue désolée. « Tu sais, embrasser les mecs et aimer se faire mettre dans… »

Un couinement heureux m’interrompit de nouveau. Spoon, redevenu visible, c’était joyeusement déposé sur la tête du gamin. Je claquai ma langue agacé, ce dragon c’était qu’un paquet de trouble qu’on avait eu le malheur de me donner.

« Spoon, sale traitre, descend de la tout de suite ou tu n'auras pas de diner… »

Pour toute réponse, il se mit à mâchouiller le fond du cuir chevelu de mon pire ennemi. Geste affectueux qu’il me réservait en général. Profondément agacé, j'essayais de le balayer de la main, quand il la happa soudainement entre ses crocs.

« You son of a… »

En voulant me débattre pour sauver mes pauvres doigts, je m’effondrai à mon tour de tout mon long sur le plancher. En parfaite concordance avec Xue, va s'en dire.

« …Ca y’est... Maintenait je vais commencer à aimer le rose et madonna… » Marmonnais-je dans un grognement de douleur.

Cette journée commençait bien pourtant, le temps n'était pas trop mauvais, le prof de magie était absent, on avait eu des hamburgers au déjeuner ... suspect, j'me disais, il va forcément m'en arriver une. Je suis ce genre de personne qui croit au karma, à l'équilibre. Trop de bonheur d'un coup, c'est jamais gratuit, la vie va se charger de vous coller une bonne emmerde derrière, histoire que vous kiffiez pas trop votre life.

Mais là, la fin de la journée approchait et je commençais vraiment à croire que ce jour était béni. Aucun problème à l'horizon, et dans quelques minutes, je serais dans mon lit, dans les bras de Khun, à mater un film, si c'est pas le pied ça ~ J'allais donc à la bibliothèque, ou plutôt à la médiathèque dans l'espoir d'emprunter un DVD pas trop mal. L'espace multimédia se trouvant à l'autre bout, j'entrepris de traverser les allées désertes d'élèves, mais pas de livres bien entendu quand tout à coup ... Disons que mon menton vint à la rencontre du sol alors qu'un rire diabolique retentissait ... Non j'plaisante, juste les gloussements de ce c*onnard de Kwon Finnick.

" Désolé, je ne t’avais pratiquement pas vu… " Je reste allongé sur le sol, alors que celui ci s'agenouille pour être à ma hauteur. " Je te donnerais bien un coup de main, mais j’ai peur que ton truc soit contagieux. Tu sais, embrasser les mecs et aimer se faire mettre dans… " Et voilà qu'il remet ça ... " Tu t'en lasses jamais mon pauvre Kwon ... "

Sans prévenir, son dragon fée vient se poser sur ma tête, comme pour provoquer un peu son maître, brave bête, il sait au moins décelé le bien du mal. " Spoon, sale traitre, descend de la tout de suite ou tu n'auras pas de diner… ▬ Oh alors ça c'est pas gentil, si les profs t'entendaient ... " Je souris, faisant le malin avant qu'il ne me tombe complètement dessus après avoir essayé de chasser son dragon de la main. " Ça y’est... Maintenait je vais commencer à aimer le rose et madonna… "

" Non t'en fais pas, faudrait que je te touche pour ça et ça risque pas d'arriver. "

Je ne lui laisse absolument pas le temps de digérer la chute, immédiatement je le repousse car sentir son corps contre le mien m'hérisse les poils de dégout. Vivement, non en fait carrément violemment, je m'assure que son dos percute bien le sol, même si pour ça je dois lui écraser mon coude dans les côtes. Voilà Kwon, 1 partout. Je me lève, le plus naturellement du monde, époussetant mes vêtements, sans lui accorder le moindre regard.

" C'est comme ça que tu dragues Kwon ? En tombant sur les gens ? Remarque, c'était la seule opportunité que t'avais d'approcher ton corps du mien. T'as kiffé au moins ? "

Mon ton n'est pas sans ironie, je sais très bien, qu'il est hétéro, il me l'a bien fait comprendre mais vu que mon homosexualité et son homophobie sont nos principaux sujets de dispute, l'attiser sur ce terrain me plait. C'est dingue, en sa présence je suis vraiment un autre homme, à croire que sa connerie et sa prétention sont contagieuses, mais si je n'avais pas ça, je crois que j'arriverais pas vraiment à répliquer. Et me laisser insulter sans rebalancer quelques piques bien pointues, c'est hors de question. Doucement, son dragon se pose sur mon épaule, venant frotter ses petites dents inoffensives dans mon cou, il m'apprécie on dirait, quoi que, il essaye peut être de me manger, allez savoir.

" Bon rappelle ta bestiole, elle est en train d'me faire un suçon "

Et la voilà qui prend son envol, battant des ailes au dessus de mon nez, échappant un peu de sa poudre hallucinogène.

Décidément, ce n’était très certainement pas la grande gueule de Xue qui m’avait manqué. Même si le voir piquer du nez, ça avait de quoi de jouissif, il perdait tout son charme du moment qu’il ouvrait la bouche.

« Tais-toi et sois joli… » Répondis-je ennuyé à ses remarques déplacées. (Parce que, bien entendu, les miennes étaient totalement justifiées.) « … Rester silencieux, c’est le seul moyen pour que ton petit ami te conserve, hein? With your mouth shut and a pretty dress, même moi je pourrais te reconsidérer… »

Bien entendu, c’était seulement du bluff. L’unique chose que j’avais un jour prise en considération, c’était mon poing sur son visage. Va savoir ce qui me donnait de pousser d’urticaire chez ce mec, le moins que je le voyais et le mieux je me tenais. Ce qui devrait très certainement être réciproque. Malgré tout, j’admets qu’il m’arrivait parfois de rechercher sa compagnie. Comme quand j’avais passé une sale journée ou que je m’étais levé du pied gauche. Ça va de sois, je le considérais plus comme un punching bag qu’un être humain à part entière.

Le retour au sol fut certes plus douloureux que l’atterrissage-surprise sure mon ennemi juré. Va savoir comment un mec bâtit comme une gamine de seize ans avait trouvé la force de me repousser. Tout ce que je sais, c’est qu’être deux fois en contact avec lui dans la même journée me donnait une sérieuse envie de passer les dix prochaines années de ma vie sous la douche. J'étouffa tant bien que mal une grimace de douleur et percuta du dos le marbre froid. Sur les coudes et inconfortable, je lui jeta mon pire regard mesquin...

« Arrête de te mentir, je sais bien que ça a été les dix meilleures secondes de ta vie… »

Dans un nouveau ricanement, je me redressa le dos contre l’étagère de la bibliothèque. Spoon, toujours rivé sur sa tête, semblait complètement désintéressé de la scène. L’enfoiré, il me le paierait tôt ou tard, lui et son affection injustifiée pour le sale gamin homo.

" C'est comme ça que tu dragues Kwon ? En tombant sur les gens ? Remarque, c'était la seule opportunité que t'avais d'approcher ton corps du mien. T'as kiffé au moins ? "

Si la remarque réussit à m’arracher un haussement de sourcil, elle ne me dégouta que sous la surface. Pas la peine de faire remarquer à mon "meilleur ami" qu’il avait touché un point sensible de mon égo démesuré. Au lieu de ça, je décidai de jouer ma meilleure carte: celle de mon incroyable modestie. Je releva le pan de mon chandail, d’un sourire provocateur et m’exclama:

« Arrête le déni et explique moi comment est-ce que le commun de mortels pourrait résister face à ça? » Par "ça", je voulais bien entendu parler de mon corps sublime. S’il y avait une chose dont j’étais sure en ce bas monde, c’était que j’avais un anatomie d’apollon. Ça et des chevilles plus grosses que des ballons de foot, certainement. « Je t’en veux pas de nier, t’as quand même du cran pour être resté fidèle à ton copain tout ce temps. » Parce que, franchement, qui ne voudrait pas de lui? À sa place, il se serait violé depuis des lustres.

Du moins, c’est ce que je pensais, avant que mon incroyable confiance en moi vacille le temps d’apercevoir Sppon se vautrer au creux de cou de Xue. Ce n'était pas vraiment de la jalousie, mais plutôt une profonde colère nourrie par le ridicule de la scène. « SPOON, what the heck are you doing?! » Je me releva d’un bon alors que le dragon-fée reprenait son envol. Heureusement pour lui, il s’éclipsa avant que j’eus le temps de lui mettre la main au cou. Décidément, ce stupide sort d’invisibilité commençait à m’agacer sérieusement. Je balaya la trainée de poudre de la main, sans y porter plus d’attention. Grand bien m’en face, avec le temps, mon système avait développé des anticorps contre la drogue. Ce que je réalisa bien trop tard, c’était que ce n’était certainement pas le cas de Xue. Je lui décocha un regard anxieux et cracha un juron sur un ton exaspéré.

« Damn… »

Je franchis les quelques mètres qui nous séparaient et enferma son nez et sa bouche au creux de ma main gauche. Pas question de lui donner encore plus d'idées en le dopant de drogues hallucinogènes. Même si l'envie de le voir délirer pendant quelques heures me semblait plutôt divertissante, celle de passer pour un violeur l’était moins.

« Tiens-toi tranquille, ou je t’assomme . »

Lui dis-je suffisamment délicatement pour le convaincre de faire du surplace le temps que la poudre dorée se dissipe. Dans quel genre de guêpier m'étais-je encore fourré?