- « T'es en retard. »
- « Oui je sais... On y va ? »
- « Humf... »
- « Roh ne fais pas cette tête ! Ça arrive à tout le monde d'être en retard ! »
- « Non. »
- « Parce que t'es jamais en retard toi peut-être ? »
- « Jamais. »

Hime éclata de rire et Tír na nÓg la regarda d'un air outré avant de secouer la tête en soupirant. La japonaise monta sur le dos du grand dragon vert et les deux traversèrent le portail vers le monde magique. De l'autre côté, il faisait beau et une petite brise soufflait agréablement. Le dragon se laissa porter par les courants pendant que sa dragonnière regardait d'un air ravie le paysage s'étendant autour d'eux.

- « Un jour je vais finir par ne plus vouloir rentrer... »
- « Je te ramènerais par la peau des fesses, alors. »
- « Vu tes dents et tes griffes, tu me perforeras plutôt les fesses, oui ! »

Tír na nÓg lança un regard amusé à sa dragonnière qui lui répondit en lui faisant remarquer qu'elle tenait à ses fesses. Le dragon répliqua que ce n'était qu'un arrière-train comme les autres et il reçut en échange de sa réplique une petite tape sur le dos.

- « J'peux pas te frapper les fesses, t'es trop long... »
- « T'es trop petite surtout ! »

Hime éclata de rire et Tír na nÓg descendit vers le sol en piqué. Atterrissant délicatement sur l'herbe verte, le dragon marcha sur quelques mètres avant de laisser descendre sa dragonnière à l'ombre d'un arbre. Le soleil commençait à monter dans le ciel et Hime s'allongea sur le sol, près de la tête de son dragon.

- « Je suis si petite que ça ? »
- « Tu oses me demander ça à moi ? »
- « Bah je me pose la question ! »
- « Je fais plus de dix fois ta taille, gamine ! »
- « Gamine ?! T'es plus jeune que moi j'te signale ! »

Pour toute réponse, le dragon lui souffla à la figure, soulevant ses cheveux blonds. Hime écarta ses bras en croix et observa le ciel à travers le feuillage de l'arbre. Elle se sentait toujours bien dans le monde magique, elle oubliait tous ses problèmes et elle pouvait profiter de la chance qu'elle avait sans se poser de question.
Les deux individus restèrent un long moment allongés sur le sol, se réchauffant au soleil pour l'un et se refroidissant à l'ombre pour l'autre. Au bout d'un moment, Hime se releva et réveilla son dragon qui s'était endormi. Tír na nÓg laissa Hime monter sur son dos puis il décolla. Hime et lui s'étaient levés tôt ce matin pour pouvoir profiter de la matinée dans le monde magique. Ils survolaient un désert chaud lorsque Hime se saisit de son appareil photo pour immortaliser le vol paisible d'un superbe dragon aux reflets cuivrés. Ils volèrent ainsi, alternant pirouettes et photos pendant quelques heures puis finalement, il fut temps de rentrer à Astahi. Comme à chaque fois, Hime se retourna pour voir les lourdes portes du portail se refermer derrière eux. Elle aimait tellement le monde magique qu'elle se surprenait à y passer plus de temps qu'à Astahi. Elle allait jusqu'à se lever en pleine nuit pour voler avec Tír na nÓg de l'autre côté avant de revenir pour suivre les cours. Loin de la fatiguer, ses excursions la mettait en pleine forme.
Tír na nÓg la déposa devant l'entrée de Astahi avant de repartir sur son territoire dans la forêt. Hime entra dans le bâtiment principal de Astahi et s'apprêta à aller manger un petit quelque chose avant de retourner en cours. Seulement ses objectifs furent détournés lorsqu'elle entendit les éclats de voix si caractéristiques d'une dispute. Espérant secrètement que pour une fois on allait pas venir la chercher, Hime continua son chemin comme si elle n'avait rien entendu. Mais elle se trompa de chemin et se retrouva tout simplement nez à nez avec le groupe se disputant. Sa présence ne passa pas inaperçu et si elle pensa pendant un court moment pouvoir esquiver le problème, sa tentative fut tuée dans l’œuf lorsqu'elle entendit :

- « Eh c'est la Justice ! »

Intérieurement, Hime jura dans toutes les langues qu'elle connaissait et se tourna tout sourire vers le petit groupe :

- « Moi c'est Suzuki Hime mais bon... »

Elle n'était vraiment pas une grande fan de ce surnom de Justice qu'on lui donnait mais en voyant les regards implorant que lui lançaient les personnes, Hime s'avança vers elle, sans se soucier du garçon qui lui faisait dos. S'arrêtant à côté de lui, la Justice demanda d'une voix calme :

- « Quel est le problème ? »

Pourquoi est-ce que c'était toujours comme ça ? Il y avait toujours un petit couillon pour venir provoquer les grands idiots. Toujours ! On aurait pu penser qu'à Astahi, ça aurait été différent puisque, après tout, ce n'était pas une école ordinaire... mais non : toujours les mêmes conflits avec les mêmes personnes. Hime n'était pas une bête de l'école et de ses traditions puisqu'elle avait voyagé trop régulièrement pour s'installer assez durablement dans une école pour en comprendre tout à fait le règlement, et puis ça variait d'un pays à un autre alors bon... Mais toujours est-il qu'à chaque fois qu'elle arrivait dans une nouvelle école, elle repérait toujours les fouteurs de merde et généralement ceux qui cédaient à la provocation n'étaient pas mieux fourni intellectuellement parlant. Ça avait l'air d'être un besoin pour ces provocateurs de tout faire pour qu'on les attaque, les agresse, pour qu'ils puissent faire leurs victimes mais ça ne marchait absolument pas avec Hime. Les fouteurs de merde elle les repérait au premier coup d’œil et là il y en avait une grosse brochette devant elle. Que ce soit les deux grands couillons qui la regardaient en attendant qu'elle condamne le petit à la peine de mort ou que ce soit le première année qui se prenait pour un grand : fouteurs de merde. La présence de Hime avait déjà contribué à faire fuir les petits curieux qui s'étaient agglutinés autour du trio. Ah les fouineurs... la japonaise ne comprenait pas quel était ce besoin irrépressible de mettre le nez là où il avait baston. A chaque fois c'était pareil : s'il y avait des signes de bagarre, il y avait forcément une bonne dizaine de curieux qui regardaient et généralement qui filmaient et ça c'était insupportable. Heureusement pour Hime, sa simple présence en mode "Justice" était tellement glaciale et autoritaire que les fouineurs avaient tendance à prendre leurs jambes à leurs cou plus vite qu'un vol de dragon topaze. Hime n'était pas une fille désagréable et détestable mais ce n'était pas non plus le genre de personne à sous-estimer. Si elle pouvait avoir cet air souriant et naïf en temps normal, lorsqu'elle réglait des conflits elle affichait un air glacial et impitoyable et en plus de ça son aura autoritaire forçait de temps en temps certaines personnes à avouer immédiatement toutes leurs fautes depuis leurs naissances alors que Hime n'avait rien demandé.

- « Le soucis c'est que ce type veut me casser la gueule, parce que j'ai dormis avec sa copine, sauf que...je ne savais pas que c'était sa copine, c'était une blague que mes potes m'ont fait et j'étais trop torché pour m'en rendre compte. Ce type est borné il ne veut pas piger ! »

Le plus jeune venait de se retourner en souriant pour annoncer cela à la japonaise. S'il s'attendait à une réaction compréhensive ou autre, il fut déçu puisque la seule chose que sa réaction entraîna ce fut ceci :

- « Et tu trouves ça drôle ? »

Les yeux de Hime étaient glaciaux et sa voix l'avait été encore plus. Ce qu'elle n'aimait pas les petits mioches de ce genre qui se croyaient tout permis et qui pensaient pouvoir rire de tout. La sixième année aurait préféré milles fois rester sur son dragon plutôt que d'être dans les couloirs à régler un problème aussi foireux que celui-ci mais elle n'avait pas le choix : il fallait qu'elle fasse régner l'ordre et la Justice à Astahi... Même une grande école comme Astahi pouvait abriter des cas sociaux et apparemment la brochette d'hommes devant elle en était un bon exemple.

- « Tu parles du fait que tu étais "torché" comme d'un exploit mais je ne vois pas ce qu'il y a de héroïque ni même d'incroyablement cool dans le fait d'être trop bourré pour pouvoir se rappeler de sa soirée... »

Ça c'était pour le mioche qui avait l'air de trouver ça terriblement sexy et viril de se bourrer la gueule H24. Hime n'avait rien contre le fait de boire de l'alcool, même si elle-même n'en aimait pas beaucoup, mais elle avait toujours trouvé ça pitoyable de boire pour être bourré. Quel intérêt de faire une soirée si ce n'était pas pour s'en rappeler le lendemain ? Or elle avait l'impression que ce première année pensait que ça lui donnait un genre et ça énervait passablement la Justice. Pourquoi cet attrait pour l'alcool, pour en boire jusqu'à se faire mal ? Parce qu'il fallait être réaliste, ce première année était aussi frais qu'un poisson au soleil depuis trois semaines...

- « Tu dis que ce type est ''borné" et qu'il ne veut pas t'écouter ? T'écouterais quelqu'un qui agit comme tu l'as fait ? Non je ne pense pas. Alors arrête de faire ta victime, tu n'es absolument pas crédible. Je peux comprendre que tu penses que ce n'est pas entièrement de ta faute mais après tout, l'alcool on ne t'as pas forcé à le boire, non ? Tu es donc responsable de l'état dans lequel tu t'es mis et au final tu es aussi responsable de ta soirée, même si tu étais trop raide pour t'en rendre compte. Assume un peu tes responsabilités et réfléchis la prochaine fois lorsque tu te retrouveras face à une bouteille d'alcool. »

Après tout, effectivement, le première année était responsable de sa soirée puisque c'était lui et personne d'autre qui avait décidé de se bourrer la gueule. Si ce n'était pas lui et si on l'avait forcé, il avait intérêt à le dire à Hime pour qu'elle punisse les responsables. Hime ne supportait pas les injustices et autant il était juste que le première année assume ses beuveries, autant il était injuste qu'il assume ce qui ne le concernait pas pleinement.

- « Et toi... Tu crois que la violence règle tout ? Je peux savoir pourquoi tu t'apprêtais à lui démonter la gueule ? Ta copine est libre de faire ce qu'elle veut, d'autant plus qu'il me semble que tu n'es pas un exemple de fidélité toi aussi. Plutôt que tenter de décapiter le premier venu, tu ferais bien mieux de réfléchir à pourquoi ta copine a fini avec ce garçon. Il serait peut-être temps que tu changes de caractère parce que ce n'est pas la première fois que je te croise dans ce genre de situation et que je commence à en avoir assez de devoir régler les conflits de ce genre que tu provoques. Ce garçon est responsable de la soirée mais toi tu es responsable de ce qui vient d'arriver puisque tu l'as violenté sans même lui donner le temps de s'expliquer. Au lieu d'agir continuellement avec tes poings, tu ferais mieux d'agir avec ta tête. »

Les deux étaient autant coupables l'un que l'autre. Si le première année était coupable de sa soirée et de tout ce qui s'en était ensuivit, l'autre n'était pas un saint pour autant puisque c'était lui le responsable de l'incident du couloir. Hime était farouchement opposée à la violence et il ne lui était arrivé d'y céder. Elle était parfaitement consciente que les mots étaient parfois plus blessant que les coups alors elle soupesait chacun de ses propos avant de les dire, de manière à ne pas blesser trop violemment les personnes. Mais il fallait bien ici que les deux personnes se rendent compte de leurs responsabilités. Le première année était persuadé qu'il n'avait rien fait alors que non, il était entièrement responsable de sa conduite l'autre soir. Ça aurait été trop simple si les alcooliques ou les bourrés n'avaient aucune responsabilité lorsqu'ils étaient en état d'ébriété. Toute personne était responsable de ses actes, même si elle était complètement ivre au moment de l'action : après tout c'était bien de sa faute si elle s'était retrouvé dans cet état là, non ? Quand à l'autre, de quel droit s'était-il permis d'agresser ainsi le premier année sans que celui-ci ne sache pourquoi ? Il ne lui avait même pas laissé le temps de s'expliquer et avait cédé immédiatement à la violence.
Celui qui avait cédé à la violence avait apparemment compris la leçon puisqu'il venait de baisser les yeux, l'air penaud. Ce n'était pas la première fois que Hime le voyait et il avait l'air tellement mal dans sa peau que la japonaise n'insista pas : elle savait parfaitement qu'il n'était pas foncièrement méchant mais qu'il était facilement blessé. Par contre le première année, elle ignorait tout de lui et à voir son attitude, il n'avait pas l'air d'avoir retenu la leçon...

- « Toi. Tu n'as pas l'air d'avoir compris la leçon... Comme sorte de "punition", tu vas devoir m'assister pendant toute la journée et je prolongerais la chose si j'ai l'impression que tu en as besoin. »

Après avoir signifié aux autres qu'ils feraient mieux de partir, Hime se tourna vers le première année. C'était comme ça avec Hime, on ne pouvait pas défier son autorité lorsqu'elle était en mode "justice", c'était plus fort que tout...

- « Je suis Hime. Suzuki Hime, en sixième année à Toji. Et toi, tu es ? »

La punition n'était vraiment pas violente. Hime aurait tout à fait pu lui coller une sanction beaucoup plus désagréable que celle-ci et elle espérait qu'il en avait conscience. Toucher à la copine ou au copain d'un ou d'une autre c'était très mal vu et Hime aurait pu, sans soucis, sanctionner très violemment le première année. Mais la Justice était de bonne humeur et puis cet élève n'avait pas l'air si horrible, si ?