C’est avec en entrain modéré que j’empoignais mes valises. Je remontais la grande allée, le visage fermé. Il devait être aux environs de dix huit heures. J’avais bien précisé au directeur Moon que je ne voulais pas de comité d’accueil, personne, même pas lui. Après trois ans d’absence, je refusais qu’on me saute dessus ou qu’on me regarde avec une expression de pitié, rien que l’idée m’insupporte. De toute façon, je n’étais même pas sûr qu’on allait me reconnaître.
J’avançais donc d’une démarche rapide, ne prenant pas le temps d’observer le paysage. Je le connaissais par coeur, mais je n’avais pas envie de trop le reconnaître. Les cours de la journée devaient être terminés à cette heure - des élèves gambadaient tranquillement... En compagnie de leurs dragons. Cette vision plus que tout me décida à me presser encore plus. Une fois le chemin remonté et les jardins derrière moi, j’entrai dans la cour de l’école. J’ignorais tout le monde qui pouvait s’y balader et pénétrais dans le hall.

Je m’avançais de quelques pas. Retrouver cette école et les souvenirs qui allaient avec me plongeait dans le désarroi le plus total. Avec un soupir, je me dirigeais vers les escaliers. Moon m’avait tout précisé sur un papier - sauf le pourquoi il voulait tant que je revienne. Je retrouvais donc mon ancien bureau et mes anciens quartiers. Cette pensée me figeait, mais je n’étais pas une nature douce. Arrivé devant la porte en bois lisse, j’activais la poignée et j’entrais dans la pièce.
Elle était totalement vide. Je veux dire par là qu’il n’y avait qu’un bureau, une chaise et des tas d’étagères vides. C’était poussiéreux - personne ne devait être entré ici depuis trois ans. Je posais mes valises par terre et jetais ma sacoche sur le bureau. J’allais ouvrir les fenêtres pour faire entrer un peu d’air frais, résistant à l’envie de les refermer tout de suite pour ne pas voir le parc de l’école.
Je retournais aussitôt vers mes affaires. Il était temps d’égayer un peu le bureau ! C’est avec un enthousiasme forcé que j’ouvrais une de mes valises et que j’empilais un nombre incroyable de bouquins. J’allais ensuite les disposer dans la grande bibliothèque. Je sortis ensuite d’innombrables bibelots que je disposai un peu partout. C’est à ce moment que je réalisais que je n’avais pas nettoyé la poussière... Je reculais de trois pas et je fis lentement passer ma main devant moi. Ensuite, je refis la même chose, mais nettement plus vivement, et en direction de la fenêtre. Un vent brusque s’éleva et passa dans la pièce, se transformant en mini-tornade qui aspira toute la saleté avant de s’évanouir par la fenêtre.

Je fixais pendant un moment ma main... Les choses m’étaient venues si naturellement, alors que n’avais pas utilisé la magie depuis mon départ. J’évitais. Mes pouvoirs, bien que présents, étaient nettement moins puissants depuis le décès de mon compagnon dragon. Repenser à Lux Kolmongil ne faisait que me détruire encore plus. La perte de l’être le plus cher que j’avais au monde m’a détruit. Et vivre sans... J’ignore si le mot vivre est le bon.
Au moins, la pièce était propre. Je bataillais pendant cinq minutes avec la lampe qui refusait de s’allumer, et un petit claquement de doigt qui provoqua un minuscule éclair régla la question. Oui, c’était clair, je retrouvai mes anciennes habitudes.
Je mis mes valises dans un coin et allais m’asseoir derrière mon bureau. Moon m’avait envoyé le dossier de la totalité des élèves que j’allais avoir - autrement dit un bon paquet. Il pensait que ce serait utile de les revoir et de me familiariser avec avant de les voir réellement... J’étais un peu frileux à l’idée de revoir d’anciens élèves. Avec huit années d’études à Astahi, c’était certain que je n’allais pas les louper. Ils devaient avoir bien grandi, en trois ans...

J’espérais que Moon n’avait pas étalé la nouvelle de mon retour dans l’école.
J’étais en train de consulter les dossiers un par un depuis un peu plus d’une heure. Tout à coup, j’entendis un toc-toc qui me fit presque sauter au plafond. Je plissais les yeux d’un air méfiant. En utilisant les fluctuations de l’air, je fis amener une chaise d’un bout de la pièce jusque devant mon bureau. Autant avoir l’air crédible.
Je pris une profonde inspiration - je n’avais envie de voir personne - je m’adressais à la personne située derrière la porte.

« Entrez, je vous prie. Que désirez-vous... ? »

Mon ton était légèrement désabusé.

Je n’avais absolument aucune envie de parler à qui que ce soit pour cette première soirée à Astahi depuis trois ans. La pile de dossiers données par le directeur Moon menaçait de s’écrouler et mon bureau était enseveli dessous. C’était avec un certain énervement que je commençais à trier et lire les dossiers, en commençant par ceux des huitième année. Au moins eux, j’étais sûr de tous les connaître et j’étais curieux de savoir ce qu’ils étaient devenus.
Une autre question me taraudait aussi : qui m’avait remplacé dernières années ? Cette personne avait-elle était compétente ? Humpf, pas autant que moi, j’en étais sûr. Concernant mon métier j’étais doté d’un ego surdimensionné, mais je savais que j’étais le meilleur dans mon domaine. Même si maintenant devoir enseigner la magie draconnique était plus une corvée qu’autre chose... Plus rien n’était pareil, et je n’arrivais toujours pas à me faire à l’idée que j’étais définitivement seul.

Après avoir fait voleter une chaise jusque devant mon bureau, j’autorisais la personne qui avait frappé à entrer. C’était une jeune fille au visage rond encadré de cheveux roux... Et ça sentait la chieuse à trois kilomètres. Nom de nom, j’avais un drôle de pressentiment.
Je lui désignais la chaise d’un mouvement de tête pour qu’elle s’assied. Elle avait l’air énerve - comme ça on était deux - et il attendait de savoir ce qu’elle voulait.

« On m’a dit qu’il fallait que je vienne vous voir. »

Je n’en laissais rien paraître mais je restais comme deux ronds de flan. C’était encore un coup de Moon ? Non, il avait rarement un contact direct avec les élèves. Je n’étais rentré à l’école d’Astahi que depuis même pas deux heures que j’étais déjà ennuyé.
Et puis c’était quoi son sourire ? Je pouvais déceler sans mal que c’était une façade. Ce n’était pas un élève qui allait me cacher des choses ou encore me tourner en bourrique.

« Ah. »

Je ne trouvais rien de mieux à répondre, l’air un peu morose. Qu’est ce que c’était encore que cette mascarade... De toute façon, quand j’étais à Astahi trois ans auparavant, il ne se passait pas une journée sans que des élèves viennent me voir pour des soucis ou autre. Visiblement, la tradition se perpétrait.

« Je suis Park Eun Sil, en première année chez les Hwajae. »

Une Hwajae, hein ? Elle n’aurait pas pu être autre chose, il suffisait de la regarder. J’avoue que je me fichais complètement de qui il était, ce qui m’intriguait c’était la raison de sa présence ici.

« Bon, c’est très bien tout ça, mais il a un petit souci. Je n’étais pas au courant que j’allais recevoir de la visite et n’avais pas envie d’en recevoir. »

Je ne jugeais pas utile de me présenter - en fait, je n’en avais pas envie surtout. J’écartais des piles des dossiers en les empilant à ma droite et à ma gauche, pour mieux voir l’élève. Elle ne devait pas trop me voir, car j’arborais une tunique noire à capuche, et celle-ci était rabattue sur mes cheveux et mon visage. Elle ne devait voir que mes lèvres.

« Enfin, à moins que tu ne sois une idiote finie ce qui ne m’étonnerait pas tu dois quand même savoir pourquoi tu es là. Dans ce cas-là, tu m’expliques ? Sinon, tu dégages, j’ai pas de temps à perdre. »

J’étais dans la méthode expéditive, mais elle avait quand même dû remarquer les piles de dossier, à moins d’être aveugle. Je croisais les bras dans une position d’attente.
Elle devait se demander qui j’étais - il était clair qu’elle n’en avait aucune idée. C’était une première année, elle n’avait pu me connaître. J’avais hâte qu’elle s’en aille cependant, j’avais vraiment besoin d’être seul et tranquille. Mais avec les Hwajae dans son genre, rien n’était moins sûr... Car si quelqu’un avait demandé à ce qu’elle vienne me voir moi, c’est qu’elle avait un souci avec son oeuf ou son dragon. La dernière option était la plus plausible, les trois quart de l’année scolaire étaient passés, son oeuf avait sûrement éclos.

Alors, c’était quoi son problème, à la miss Park Eun Sil ?