Une soirée que je pourrais juger ordinaire, une soirée à la tour Hwajae entourée des autres ceux qui me voient mais que j'oublie de regarder. Il éclipse leur présence comme il l'a fait au premier jour. Dans le même canapé nous regardons les flammes danser dans la cheminée, un café à la main et je me paie le luxe d'une cigarette. Je me détends avec lui, c'est agréable comme au temps de notre toute première année. Que de beaux souvenirs, ombrés par d'autres qui le sont moins …

Je replie les jambes dans le sofa, me cale un peu plus contre lui sans penser à mal et ces regards réprobateurs sur nous me laissent de marbre. Les Hwajae sont du même avis, j'ai surpris plus d'une fois leurs conversations, Jung Soo n'est pas le bienvenu mais personne n'aura assez de cran pour lui dire de filer ; il en impose alors on préfère se taire et se contenter de le fixer de travers. Le silence règne, ne le perturbent que de pauvres chuchotement mais voilà quelqu'un pour le perturber vraiment …

Une grosse tête rouge surgit à la fenêtre, faisant sursauter les moins habitués. Je souris à moitié, tourna suffisamment la tête pour jeter un regard à mon dragon venu me surveiller comme chaque fois que je passe du temps avec Jung.

« Arytiss tu fais peur aux premières années ... »

La bête souffle, montrant bien qu'elle se contre fiche de l'avis des jeunes. Son oeil s'attarde son mon ex petit ami, menaçant comme s'il allait lui sauter à la gorge. Enfin, chose difficile compte tenu du fait qu'il est désormais bien trop imposant pour se balader dans la salle …

« Tout va bien, ne t'inquiète pas d'accord ? »
« Hn … je ne lui fais pas confiance, au moindre geste suspect je le débarrasse d'un bras. »
« C'est interdit tu sais bien. » J'adresse un sourire à Jung, compatissante.
« M'en fiche. »

Un grognement, Arytiss ne l'aime décidément plus …
Comme inquiet, il reste à la fenêtre sans bouger, attendant le moindre mouvement louche. Décidément, je crois qu'il ne laisserait rien m'arriver. Pour l'heure il ne se passera rien de mal entre Jung Soo et moi mais faire comprendre ça à Arytiss relève du défi et je ne me sens pas d'argumenter sur le sujet avec mon dragon. J'aimerai qu'il se lasse de sa surveillance mais ça aussi, c'est improbable.

« Il se fait tard ; il n'a qu'à rentrer dans sa tour avec sa fée clochette. »

Et il marmonne encore, nul besoin de le regarder je sais quelle expression il prend, boudeuse. Il veut me protéger, je ne peux pas lui en vouloir mais il faut bien dire qu'il en fait un peu trop …

Les gestes d'autrefois sont de nouveau là, la douceur avec laquelle je pouvais la serrer dans mes bras les premiers temps où nous étions ensemble. Ça fait du bien parfois de faire un bond en arrière, de retrouver les choses telles qu'elles étaient par le passé. Ceux qui ne nous connaissent pas croiraient qu'on ne s'est jamais quitter mais derrière cette apparente sérénité, nous seuls connaissons la triste vérité, rien n'ira jamais plus loin entre nous. Pourtant lorsque je la sens se blottir un peu plus contre moi, mon cœur accélère, et je sais qu'un rien pourrait rallumer la flamme, mettre le feu aux poudres. Mais ces étincelles, chaleureuses finiraient par nous brûler la peau, c'est ce qui s'est passé, c'est ce qui se passera alors malgré l'envie, je suis dans la retenue, essayant de me persuader qu'elle et moi, ça ne fonctionnera jamais.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui ... Disons une tendre amitié. Assis l'un près de l'autre, devant le feu brûlant dans la cheminée de la Tour Hwajae, depuis plusieurs minutes, j'ai l'impression qu'autour de nous, rien n'existe. Le temps s'est arrêté. Avec une lenteur excessive, mes doigts caressent une de ses mèches de cheveux, mon bras étant posé autour de ses épaules. Nous ne parlons pas, nous n'avons pas besoin de ça pour communiquer, seul le bruit de ma gorge déglutissant le café chaud brise le silence. Vraiment, tout est parf-

« Arytiss tu fais peur aux premières années ... » Je tourne la tête, instinctivement vers la fenêtre, constatant que nous avons un invité. Ma tête se tourne de nouveau vers le feu, je ne veux pas soutenir son regard trop longtemps, il pourrait prendre ça comme un affront ou une provocation, le tout étant de rester humble avec lui, si je veux encore approcher sa maîtresse. Silencieux, je laisse à Mi Ran le soin de régler le problème, mais le dit "problème" à écailles rouges ne semble pas vouloir quitter son poste de surveillance. Pas grave, il ne verra rien de bien choquant de toute façon et peut être se montrera t-il plus conciliant les fois prochaines s'il voit que je ne tente rien de trop osé avec sa jolie maîtresse.

« Il se fait tard ; il n'a qu'à rentrer dans sa tour avec sa fée clochette. » Je relève les yeux, pensant soudainement à ma dragonne, je dois avouer qu'elle m'est sorti de la tête pour le coup. Pourtant il me semblait bien qu'elle était dans les parages il n'y a pas cinq minutes.

" Ah enfin tu me cherches. "

J'entends sa petite voix aigüe mais nullement agressive, son ton est accusateur, elle n'a jamais aimé voir des filles tourner autour de son maître. Décidément, nos dragons sont aussi possessifs l'un que l'autre. Redevenant visible, je la vois voler vers la fenêtre; batifolant comme un petit papillon, venant narguer son congénère.

" Oui il est tard, au panier Médor ~
- Ne le provoque pas Won. "

Il se tait, se contente d'observer non sans rogner entre ses dents. Arytiss est adorable une fois passée cette apparence agressive, je le connais, il n'agira que sous la colère ; colère que je ne tiens plus jamais à voir. Il ferait trop mal, beaucoup trop même et je n'ose imaginer sa réaction s'il devait une nouvelle fois s'en prendre à Jung Soo. Je me love un peu plus, rien de trop intime, on a l'air de deux personnes se connaissant depuis toujours. En un sens quelques fois, j'ai cette douce impression que nous ne nous sommes jamais quittés, que seules quelques jours nous ont séparé … une idiotie, il s'est bel et bien passé des choses, beaucoup trop, des mots, des cris … On ne changera rien de tout ça. Ni lui, ni moi.

La fée clochette, il l'appelle tout le temps comme ça, je n'ai jamais trop comprit, je n'ai pas cherché non plus. Ils se chamaillent souvent, surtout depuis la séparation de leur maitre. Ils se jettent des pics, l'énorme différence de taille n'étant pas un souci ; ils savent bien comment s'ennuyer l'un l'autre. Je ne retiens pas l'esquisse d'un sourire à la vue de cette petite bête prenant la parole, reprochant à Jung son manque d'attention envers elle. Les femelles sont de nature jalouse, c'est connu.

Toutefois je grimace, reposant ma tasse vide au moment où elle réplique face à Arytiss, le comparant subtilement à un chien … Je sais qu'il n'en sera pas heureux et retourne contre mon ancien amant, préférant me trouver entourée de son bras. Il a beau avoir demandé à sa protégée de ne pas jeter de l'huile sur le feu, les objets volent si vite lorsqu'un dragon prend les tours … mieux vaut ne pas se disperser et rester assis.

« Sale peste ! Attend un peu ! »

Ses grognements mécontents résonnent dans la tour tandis qu'il tend le cou dans la pièce avec l'idée de gober la dragonne -une fois de plus- sans y parvenir car bloqué dans ses mouvements par l'encadrement.

« Arytiss tu vas casser quelque chose. Tu sais bien que tu es trop grand maintenant. »
« Maudite bestiole ! Je vais te rôtir moi tu vas voir ! »

Son jet de flammes nous passe juste au dessus de la tête. Ni Jung ni moi ne bougeons, c'est dire si nous y sommes habitués alors que les plus jeunes se sont sauvés en hurlant. Je soupire, claque la langue.

« Hey ! Ça Suffit j'ai dit ! »
« Mais … »
« Non ! On se calme maintenant, c'est moi qu'on va engueuler si tu brûles le salon. »

Nouveau grognement, mais il n'ajoute rien, retournant plus au dehors, la tête sur le rebord de la fenêtre et l'oeil attentif au passage futur de la petite bête ailée. Pour ma part je soupire de bien être, retient un geste éventuel alors que j'aimerai pourtant lui prendre la main, entrelacer nos doigts l'air de rien … Non ; ce serait une folie. Se laisser aller, retrouver les attentions d'antan ... Nous retournerions trop vite au passé, dans cet engrenage. Il ne faut pas ! C'est une telle évidence et malgré tout je dois encore me contrôler, contrôler ma tête et mon coeur …

Les gens autour de moi, je n'y avais même pas fait attention, mais il est vrai que maintenant, je pouvais aisément voir que je n'étais pas le bienvenue ici et le fait que mon dragon provoque Arytiss et entraîne autant de panique, n'arrangeait pas les choses. Il faut dire, ils ont toujours été comme chien et chat ces deux là depuis leur éclosion, mais leur relation s'est d'autant plus dégradée quand la notre a pris fin. Ils sont tout deux très possessifs alors ils défendent leur territoire ... C'est plutôt normal dans le fond. Et avec notre récent rapprochement, Arytiss est doublement méfiant et Won quand à elle, toujours aussi provocatrice et joueuse. Elle ne l'emmerde pas par méchanceté, non c'est juste dans son caractère, les dragons fée aiment jouer des tours et agacer leurs congénères. Peut être une façon de prendre leur revanche sur le fait qu'ils pèsent mille fois moins lourd ...

En attendant, je suis la dernière personne à m’inquiéter de leurs querelles, étrangement, je pense qu'Arytiss est un dragon avec un bon fond, quelques fois agressif, mais il n'irait pas jusqu'à tuer l'un des siens pour quelques piques lancées. Une fois, il s'en est pris à moi et j'ai bien cru que ce jour serait mon dernier, il aurait pu me porter un coup fatal mais il ne l'a pas fait ... je le méritais pourtant ... Doucement mes yeux se posent sur celle à qui j'avais fait tant de mal dans le passé, je le regrette terriblement mais malheureusement, je ne peux pas revenir en arrière ... Et même si c'était le cas, est-ce que j'aurais pu y changer quelque chose ? Je ne pense pas, on est programmés pour être comme ça.

« Non ! On se calme maintenant, c'est moi qu'on va engueuler si tu brûles le salon. » Son dragon l'écoute, elle le maîtrise car immédiatement il cesse de s'agiter, reposant calmement sa gueule énorme sur le rebord de la fenêtre.

" Won viens ici " Sans discuter, mon petit dragon vole dans ma direction, ignorant le gros rouge, le narguant presque. Je me redresse alors pour poser ma tasse de café à présent vide sur la table, retirant mon bras des épaules de Mi Ran pour attraper la minuscule créature à écailles dans mes mains. " Reste sage ... " Je passe mon index sur le haut de sa tête pour la caresser et dans un mouvement on ne peut plus naturel, je m'allonge, posant ma tête sur les genoux de mon ex petite amie, laissant la dragonne se blottir sous ma chemise, contre mon torse.

Je la maitrise sans en connaître la mesure. Si Arytiss venait à s'emporter à nouveau je doute de pouvoir l'arrêter. Il est devenu imposant, hors de contrôle sur le plan physique. À moi il ne fera rien non, mais aux autres … Je me demande jusqu'à quand ma voix l'atteindra.

Bougeant, je laisse Jung poser sa tasse et prendre sa petite dragonne en main, voyant du coin de l'oeil que mon propre dragon meurt d'envie d'entrer. J'irai le voir après, combler sa solitude. J'aimerai qu'il cherche de la compagnie chez ses congénères, il n'y songe même pas. Il en connait quelques-un, sans les fréquenter pour autant. Arytiss n'est pas un modèle de camaraderie.

La tête de mon ex petit ami sur mes genoux me laisse un instant interdite, le temps de cligner des yeux en fait. Je retrouve mes gestes, mes envies d'autrefois lorsqu'amoureuse, je lissais ses cheveux dans le calme, un sourire rêveur aux lèvres. Il n'y a eut personne pour le remplacer, personne pour combler le vide en moi. Je n'en veux pas d'autres, je ne suis pas guérie de nous, de notre histoire.

« Merci de passer le soir, j'espère que ça ne te pose pas de problèmes. » Je lisse ses mèches brunes, pensive.

Je préfère demander, je sais comme les Toji sont sérieux, comme ils représentent cette perfection scolaire. Je ne veux pas que Jung Soo se retrouve avec une étiquette, qu'il soit mal jugé ou qu'il vienne me trouver contre l'avis des professeurs, des surveillants. On nous surveillait de près quand Arytiss l'avait blessé, on préférait nous savoir éloigné l'un de l'autre par sécurité. L'avis des autres est sans importance mais l'avis des hautes sphères en revanche …

« Si ça doit poser problème ! Il devrait rentrer ce serait plus prudent ! »
« Arytiss … »

Nouveau grognement, le son d'un battement d'ailes. Le voilà vexé et parti faire un tour.
Ah vraiment, les dragons sont de sacrées phénomènes ...

Ses doigts dans mes cheveux, j'avais oublié à quel point cela pouvait être agréable, il faut dire, ça fait si longtemps ... « Merci de passer le soir, j'espère que ça ne te pose pas de problèmes. » Non ça ne m'en pose pas, surtout quand comme aujourd'hui, nous n'avons pas cours de lendemain. Et puis si ça me gênait tant que ça, je ne serais pas allongé sur ses genoux à me faire dorloter. Mais ça elle le sait très bien, je ne suis pas du genre à m'encombrer de choses que je n'aime pas faire.

« Si ça doit poser problème ! Il devrait rentrer ce serait plus prudent ! »
« Arytiss … »

J'entends le dragon rouge grogner puis s'éloigner peu à peu, visiblement vexé. Entre lui et moi, ça n'a jamais été l'amour fou, mais ce n'est pas pour autant que j'ignore ses sentiments. Je sais qu'il veut bien faire, qu'il protège sa maîtresse et que désormais c'est encore plus difficile pour lui puisqu'il ne peut plus entrer dans le château. Les professeurs nous ont prévenu, à un certain stade, il n'est pas bon de garder son dragon toujours près de soi, mais si j'avais eu une race plus imposante, je crois que je l'aurais miniaturisé à longueur de temps pour que comme Won, il puisse entrer dans ma poche. Ma dragonne quant à elle, elle me quitte rarement voir jamais, même lorsque je prends un bain elle éprouve le besoin de venir tremper le bout de ses pattes dans l'eau. Dans le fond, je sais que ce n'est pas l'aider de toujours être là, elle ferait mieux d'aller vers les plaines, côtoyer d'autres dragons de son espèce et ce n'est pas faute de l'y avoir poussé mais elle refuse la séparation, encore et toujours et très sincèrement, je n'ai pas le cœur à la forcer. De temps en temps pourtant, je tente d'éveiller en elle son intérêt pour les fleurs qui devrait être naturel en l'emmenant dans la forêt. Mais rien n'y fait, elle s'éloigne dix minutes pour mieux me coller ensuite ... Mais je ne désespère pas, elle finira bien pas s'habituer à son milieu naturel.

" Demain, j'aimerais aller de l'autre côté de la forêt, près des déserts pour emmener Won se balader ... "

A Astahi nous avons la chance toute particulière de pouvoir profiter de toutes les saisons. L'hiver dans les glaciers, l'été dans les déserts, le printemps dans les plaines, même si parallèlement à ça, le château lui est soumis aux aléas de la météo " normale ".

" Tu veux venir ? "

Je relève les yeux vers elle, attendant une réponse. J'ai pour habitude d'y aller seul, mais peut être que si quelqu'un se joint à moi, Won portera un peu plus d'intérêt à l'environnement qui l'entoure. En tout cas, visiblement, la proposition fait de l'effet à ma petite bête à écailles puisque je la sens mordiller mon débardeur avec nervosité, elle n'aime pas Mi Ran, je le sais très bien mais manque de chance, ce n'est pas mon cas.

Bien sûr j'aimerai qu'il soit toujours à mes côtés, qu'Arytiss partage chaque minute de ma vie mais il ne veut pas se retrouver petit. Il est fier, puissant, c'est un esprit libre et ardent. Il a fait son trou quelque part, son petit coin bien à lui où il se repose, sa tanière mais je ne sais pas où elle se trouve. Je tiens à lui laisser cette intimité de « jeune homme », j'aimerai qu'il y amène quelqu'un … une dragonne peut-être. J'ai peu d'espoir mais qui sait …

Je souris à la phrase de Jung, se promener, côte à côte ; bon sang depuis combien de temps nous n'avons pas fait ça ? C'est si simple, facile, un jeu d'enfant pour certains mais j'ai cette impression latente que lui et moi réapprenons les attitudes des plus banales. On s'est cassés, brisés, on s'est fait tant de mal que je peine à nous imaginer main dans la main désormais. Oh s'il lisait en mon coeur il saurait, il comprendrait que je regrette notre amour perdu, mais je crache sur l'engrenage qui s'y rapportait. On aime qu'une fois comme ça ; j'ai vu, mais je n'ai pas vaincu.

« Avec plaisir, je ne me suis pas réellement baladée depuis un moment. »

Je pars en vol, souvent avec Arytiss mais c'est incomparable. Mon dragon et moi avons soif de vitesse, de jeux, d'acrobaties. On vit à fond, on s'élance sans penser à la manière dont on s'arrêtera … Rien à voir avec Jung, rien à voir avec ces promenades que nous savions faire avant, prenant le temps de nous rapprocher encore et encore, de nous découvrir à chaque pas …

Mais que peut-il se passer désormais ? De lui je connais chaque visage, de moi il sait la beauté et la laideur, la raison et la folie. Personne ne nous connaitra mieux, personne ne saura à ce point. Ainsi il m'arrive à mes heures perdues de songer à ce qu'il nous reste à ce jour, la curiosité n'étant plus, ne reste qu'une affection, une amitié sincère qui ne surprend plus. Je pourrais me lasser, vouloir autre chose, en vain. Je l'ai voulu au premier jour, je me suis démolie à l'aimer, mais je crèverai plutôt que de l'oublier …

« On se dit quelle heure ? »

Qu'importe dans notre cas le temps passé et l'eau ayant coulé sous les ponts.
On ne changera pas nos envies, et nos sentiments moins encore ...

« Avec plaisir, je ne me suis pas réellement baladée depuis un moment. »

Je ne compte même plus les années qui nous séparent de notre dernière balade. Elle et moi, marchant côte à côte, main dans la main, ça n'a rien de crédible lorsqu'on repense au passé ... Alors on pourrait se demander, va t-on trop loin ? Peut être serait-il temps de rebrousser chemin avant que les choses ne deviennent plus compliquées ? Oui c'est ce qu'il faudrait faire, je crois, mais je n'en ai pas envie ... tellement pas envie.

" On n'a qu'à se retrouver pour le déjeuner, à midi au réfectoire. On mange et on y va ? Je vais demander à un ami s'il peut m'emmener dans les plaines, tu n'auras qu'à voler avec Arytiss, on en a pour dix minutes tout au plus "

Voilà mon plus grand regret en tant que maitre d'un dragon fée : le vol. Je ne peux malheureusement pas partager ces sensations avec Won et dépend toujours des autres lorsqu'il s'agit de se rendre un peu loin dans le domaine d'Astahi. Frustrant au départ mais on finit par s'y habituer, après tout, il y a quelques années encore je devais me débrouiller sans magie. Et puis avoir un dragon fée apporte d'autres avantages si vous voyez ce que je veux dire. En attendant je me débrouille comme je peux

" Il se fait tard ... " Lentement je joins le geste à la parole, me redressant. " J'te raccompagne. " Une vieille habitude que nous avions autrefois, je faisais systématiquement le chemin jusqu'à sa chambre quand le moment était venu de se quitter, même si bien souvent elle m'invitait à entrer pour un " bonne nuit " un peu plus passionnel. C'est plaisant de retrouver certains automatismes, une routine à laquelle j'étais attaché malgré les cris et les coups. Mais ça, c'est propre à ma relation avec Mi Ran car en compagnie d'autres filles, je ne suis pas aussi appliqué et attentionné. Calmement je me lève et lui tend la main, il doit être une ou deux heures du matin et je n'ai pas envie que ça se termine mais paradoxalement je vois venir avec impatience le moment où on devra se dire bonne nuit ...

On pourrait tout arrêter, prendre un autre chemin, chercher autre chose. J'y ai pensé, sans réussir toutefois. Au fond, je n'en ai même pas envie. Je veux simplement profiter du temps qu'il nous reste ici à Astahi. On ne sait pas de quoi sera fait demain, pas de quoi seront faites nos années une fois dehors alors je ne cherche plus, j'attends de voir.

« Arytiss peut bien t'emmener ; il préférera ça. Ne dérange pas un ami, nous n'en aurons pas pour longtemps en vol après tout. » Je souris, mon dragon dira oui même s'il rogne un peu. « Après le déjeuner ça me semble parfait. »

Un soupir file entre mes lèvres lorsqu'il parle de me raccompagner. Je n'aime pas ces moments. Avant c'était facile, il ne partait jamais directement car nous passions un temps dans mes draps mais aujourd'hui je me fais violence et tais cette envie de l'attirer à moi une fois ma porte ouverte.
Je le suis, prend la main qu'il me tend non sans me mordre la langue. Le moindre contact provoque ces éternels frissons, je me sens bête d'y être si sensible mais qu'y puis-je ? Rien …
Dans les escaliers menant à ma chambre je compte les marches, voit venir l'instant terrible comme une sentence implacable et une fois ma porte en vue je prend sur moi de sourire, faire bonne figure.

« Bien ; nous y voilà ... »

J'ouvre, lui fais face, mes doigts toujours accrochés aux siens. Nouveau soupir, ça ne change pas et je replace mes cheveux derrière mon oreille. Ce n'est pas de la gêne, seulement un manque d'envie terrible de le laisser partir.

« On se voit demain alors ... »

Je le lâche, recule de trois pas mes yeux toujours plongés au fond des siens. Seigneur comme j'aimerai que ce soit simple, mais ça ne l'est pas. On souffrira à nous retrouver sans rien oser faire, à nous retrouver et replonger ; fatalement ça fera mal … Nous sommes stupides Jung, tellement.

Ma main se referme sur son haut, je l'attire, plaque furtivement mes lèvres aux coin des siennes. Bref, sulfureux ; un baiser doux amer mais je préfère encore le donner plutôt que de l'enfouir et qu'il me torde le ventre. Plus sereine, je peux le regarder sans remords maintenant.

« Bonne nuit Jung. »