Le soleil éclatant dehors semblait avoir des effets dopants sur Luv Chandelier. La jeune dragonne, qui avait maintenant atteint les deux mètres sautillait sur l’herbe. Sung Eun la rejoignit quelques minutes tard, l’air essoufflé, son sac de cours sur l’épaule. Il épongea d’un revers de manche son front couvert de sueur.

« Tu es en retaaard. », s’exclama la jolie dragonne.
« Je viens tout juste de sortir du cours ! Pour une fois où tu n’es pas conviée... »

Sung Eun s’approcha de Luv et lui caressa doucement le haut du crâne. Elle émit alors ce ronronnement si particulier qui la caractérisait. Elle posa quelques secondes sa tête sur son épaule avant de s’éloigner et s’approcher d’un parterre de fleurs. Ses yeux d’améthyste brillaient intensément. Le jeune homme ne connaissait que trop bien cette expression et se précipita à sa suite, se plantant devant les fleurs. Luv avait une passion toute particulière pour chercher et trouver des choses... Une vraie archéologue en herbe. Le souci, c’est que cette passion lui faisait faire des trous absolument partout, et il devait sans cesse passer derrière pour éviter les ennuis. Il avait déjà subi assez de sanctions à cause de cela.
Il n’en tenait pourtant pas rigueur à la dragonne, qu’il adorait. Elle n’avait que quatre ans, et même si elle atteignait le stade trois, elle restait très jeune, elle faisait des bêtises ! Comme un petit enfant.

« Non, non, non. Je n’ai pas la pelle sur moi, et les Toji vont encore m’en vouloir si tu déracines les fleurs qu’ils ont fait pousser. », la prévint-il.

Luv recula, l’air déçu, mais ses yeux n’avaient rien perdu de leur éclat. Sung Eun se doutait que si elle lui avait donné rendez-vous ici, ce n’était pas pour rien.

« Tu as prévu quelque chose ? Je te connais... »
« Ouiii ! Je veux aller dans la forêt. »
« Pour quoi faire ? Ton domaine, c’est plutôt du côté du lac... », ronchonna Sung Eun.
« Mah, mah ! Ikitai yo ! », s’enthousiasma Luv.

Elle ne semblait pas décidée à écouter les revendications de son maître. Sung Eun constata aussi qu’elle n’oubliait pas notions du japonais qu’il lui avait enseignées. Le jeune homme préférait parler la langue de sa mère ou la langue draconnique avec Luv plutôt que le coréen.
Sung Eun ne voulait pas y aller. Il était presque midi et demi et son ventre vide protestait méchamment. Le réfectoire l’attendait, avec des multitudes de bonnes choses à manger. Il en bavait déjà... Derrière ses attitudes un peu froides, il se révélait être un grand gourmand. Malheureusement, il n’eut pas le temps de faire un pas en direction du château. Il sentit qu’on lui empoignait le col et se vit emporté vers l’arrière à vive allure. Ah non, ah non, elle recommençait ! Il avait encore du travail à faire sur son éducation !

Un quart d’heure plus tard, Luv Chandelier le relâcha enfin, au beau milieu de la forêt. Sung Eun se releva difficilement tout en marmonnant un tas de choses incompréhensibles. Il avait perdu son sac, déchiré sa veste, son pantalon et il s’était pris au moins trois branches dans le visage. Ses cheveux décoiffés et les griffures sur sa joue pouvaient en témoigner.
Le temps qu’il se remette d’aplomb, Luv avait déjà commencé ses excavations. Elle était en train de creuser un trou à toute vitesse, sa longue queue mauve frémissant d’excitation. Sung Eun regarda tout autour de lui. C’était le territoire des dragons verts et autre... Il n’était pas convaincu qu’ils étaient les bienvenus.
Il n’avait pas tort.

Les choses se passèrent si vite que Sung Eun n’eut pas le temps de réagir. En moins de quinze secondes, un énorme dragon vert avait fondu sur Luv Chandelier et s’apprêta à l’attaquer. Mouleun resta bête un instant puis fonça sans réfléchir se mettre devant sa dragonne. Les crocs du dragon - visiblement un mâle - devait être à seulement quelques centimètres de son visage.
Une voix féminine mit fin à l’ambiance tendue et le dragon accepta de reculer en agitant sa queue. L’onde légère qu’il provoqua suffit cependant à envoyer bouler Sung Eun trois mètres plus loin. Luv n’était pas une dragonne qui aimait le conflit mais elle était en position d’attaque, aux aguets. Mais une petite dragonne de deux mètres face à un mastodonte vert qui en faisait dix, il n’y avait pas photo.

Une jeune fille apparut, probablement plus âgée que lui. Il se souvint de l’avoir brièvement croisé lorsqu’il allait parler à Shizuka-chan ; elle était dans la même maison et la même année que son amie d’enfance.

« Tír na nÓg ne l'a pas blessé, rassure-toi. Ça va aller ? », lui demanda t-elle.

Sung Eun jeta un coup d’oeil à Luv. Puis se rendant compte à quel point il devait avoir l’air pitoyable, il se redressa d’un bond et s’avança. Il posa sa main sur le cou de Luv, qui sembla s’apaiser et retrouver son éclat habituel. Elle n’était pas peureuse.

« Oui, ça va... Au vu de cette attaque, j’imagine que c’est son territoire ? », fit-il en désignant du doigt le dragon vert. « Je suis désolé, on va aller ailleurs. »

Il se tourna une nouvelle fois vers Luv... Pour constater qu’elle avait disparu. Mince, elle avait dû employer sa capacité d’invisibilité ! Depuis qu’elle arrivait à la maîtriser, elle ne pouvait s’empêcher d’en faire usage à tout bout de champ. Et puis décidément, elle avait le don de s’attirer le malheur des Toji.
Sung Eun en resta bras ballants. Sa coupure sur la joue le le piquait, et il allait devoir se lancer à travers bois pour retrouver Luv. Ç’allait être une aventure encore. Il sentit le besoin d’expliquer la situation à sa camarade.

« Elle est persuadée qu’elle pourra trouver des gemmes par ici... Je suis vraiment désolé, je vais partir à sa recherche et on va rentrer au château ! », s’exclama t-il en tentant de vainement de rafistoler sa veste avec des morceaux de son écharpe.

La situation était presque ennuyante. Habitué aux expéditions de Luv Chandelier, il se doutait que les problèmes allaient leur tomber dessus, comme d’habitude. Le jeune homme se releva difficilement en s’époussetant tant bien que mal. On avait l’impression qu’il n’avait pas pris de bain depuis deux jours avant de se rouler dans la poussière et se jeter dans un buisson de ronces. Mis à part le fait qu’il avait pris une douche ce matin, c’était à peu près ce qui lui était arrivé... Sans qu’il l’ait souhaité.
En face de lui, la jeune fille et son énorme dragon vert. C’était bien sa veine de s’attirer toujours les ennuis avec les Toji, qui lui en voulaient déjà pas mal à cause de l’état de leur jardin, qui ressemblait à un site de fouilles archéologiques. Alors qu’il essayait tant bien que mal de retirer la poussière qui avait coloré sa veste noire en beige, sa camarade prit la parole.

« Oui, c'est effectivement son territoire. Je suis désolée pour ce qui vient d'arriver mais il est vrai que rester ici équivaudrait, pour vous, à risquer inutilement vos vies. » lui explique t-elle.
Sung Eun fit la moue.
« Risquer nos vies ? Il ne faut pas exagérer non plus... Enfin, on s’excuse. »

Il avait à peine terminé sa phrase que sa dragonne disparaissait. Il eut une soudaine envie d’aller se cogner la tête contre l’arbre le plus proche. Sung Eun regarda de tous les côtés. Où avait-elle bien pu aller ? Elle se débrouillait bien en discrétion. Décidément, elle devait avoir repéré quelque chose de très important pour qu’elle le laisse seul face à deux... à deux... Bref.
Sung Eun leur raconta que Luv était probablement en train de chercher des gemmes. Elle en était tellement friande, et elle n’en mangeait pas beaucoup - c’était rare comme nourriture. Sauf qu’entre temps, le dragon et sa dragonnière avait entamé une petite discussion... En japonais et et langue draconnique. Et ils parlaient de lui ! Rah, il n’aimait pas du tout ça, qu’ils le prennent pour un imbécile. Ils les comprenaient très bien. Il leva ses yeux noirs au ciel.

La jeune femme se tourna vers lui. C’est à ce moment qu’il la reconnut : c’était la populaire capitaine de l’équipe de wiq des Toji... Un peu le genre de fille à se prendre pour le centre du monde, à son humble avis. À tous les coups elle ignorait qui il était, et il n’allait pas le lui rappeler. Sa principale préoccupation, c’était partir à la recherche de Luv avant qu’elle ne fasse d’autres bêtises.

« Ne t'inquiète pas, les dragons d'améthyste sont spécialistes pour disparaître lorsqu'on s'y attend le moins. Mais généralement ils n'abandonnent pas leur dragonnier et ta dragonne avait l'air de tenir à toi donc elle ne doit pas être partie loin. Sans doute a-t-elle eut peur de Tír na nÓg ? Ce qui est, d'ailleurs, entièrement compréhensible. »
Mais elle le prenait pour un imbécile doublé d’un idiot ou... ? Le jeune homme serra les poings. Ce devait être son ego, mais il connaissait assez bien les dragons améthystes, vu le nombre d’heures incalculable de recherches qu’il avait fait sur eux. Allez, courage, maîtrise de soi... Il fallait éviter de s’énerver.
« Peur ? Elle ? Aucune chance. On n’est pas des mauviettes. Il doit y avoir un truc vraiment intéressant dans le coin, à lui faire frétiller la queue et m’embarquer comme un paquet, puis nous filer sous le nez. », marmonna t-il.

La jeune fille s’approcha. Sung Eun cherchait son nom, un nom japonais il le savait, mais lequel... Un truc très commun. Satô ? Suzuki ? Quelque chose dans le style. Shizuka-chan lui avait parlé d’elle, et il avait entendu parler d’elle. Quelle veine de tomber sur elle et son gros balourd de dragon, qui ressemblait à un citron vert.
Elle lui toucha la plaie et sortit de nulle part un pansement, qu’elle colla sur sa joue. Il se concentra pour éviter de lui sortir une remarque bien sentie. La Toji était certes une très jolie fille, mais il détestait de faire traiter comme un incapable. Il était l’un des meilleurs de Mul, et il avait une fierté. Il était un mec, quoi... ~
Le jeune fille lui tendit ensuite un veste de jogging. Il leva les yeux vers elle pour croiser son regard. Il la remercia d’un signe de tête et se débarrassa de sa veste déchirée. Son maillot à larges bretelles était un peu fatigué aussi. Il observa ses bras pâles qui n’avaient que quelques égratignures et enfila la veste de jogging. Il avait déjà meilleure allure. Elle était gentille, il ne pouvait le contester.

« Je suis Hime, Suzuki Hime. Je suis en sixième année chez les Toji. Et toi, tu es ? » se présenta t-elle.
Le Mul fit un rictus qui devait être un essai de sourire.
« Oui, je te connais. Seo Sung Eun, en quatrième année à Mul. »

Suzuki Hime ! Il n’était pas loin en fait. Ce prénom lui allait à merveille en plus, vu son comportement ponctué de crises de nombrilisme aiguë. Sung Eun recula pour s’asseoir sur un tronc d’arbre mort. Il allait mettre la main dans son sac avant de se souvenir qu’il était dispersé dans la moitié de la forêt, merci Luv.

« Elle va revenir... », fit-il pour combler le blanc qui s’était installé.

Il leva les yeux vers... Tir-machin - le nom était absolument imprononçable, vraiment ! - qui s’était calmé mais était toujours aux aguets. Sung Eun mourrait d’envie de partir, il crevait littéralement de faim et voulait aller à la bibliothèque pour terminer des devoirs et faire quelques recherches. Mais non, il était obligé de cavaler dans une forêt, se faire traiter comme un gamin et menacer de se faire bouffer par un citron vert géant.
Le jeune homme se leva subitement. Il avait entendu un bruit sur le côté. Il tourna la tête et il y eut un grand bruit. Il se retrouva plaqué à terre, le souffle coupé. Luv Chandelier était de retour, et ses pattes avants étaient posées sur son torse. Ses yeux violets scintillaient de mille feux et elle tenait plusieurs choses dans sa gueule. Elle frotta sa tête contre son visage avant de s’écarter.
Sung Eun se releva d’un bond en se massant le torse.

« Où étais-tu passée ? », s’exclama t-il en japonais, sous le coup de l’étonnement.

Elle ne pouvait pas parler la bouche pleine. À la surprise générale, elle trottina jusqu’à Tir na nÒg et déposa une des choses qu’elle avait dans la gueule. Sung Eun esquissa une grimace : c’était un lutin, en assez mauvais état. Et accessoirement un des mets préférés des dragons verts, ces grands orateurs ! Mais où avait-elle déniché tout cela ? Puis elle déposa une rose noire dans les mains de Hime en émettant son ronronnement si particulier avant de revenir Sung Eun. Elle se plaça derrière lui et posa sa tête sur son épaule en mâchonnant. Ce qu’elle mangeait ressemblait à des émeraudes.
Sung Eun lui fit les gros yeux, mais caressa son long cou. Il avait du mal à la gronder, elle était mignonne et au vu de ce qu’elle avait offert à Hime et son dragon, elle voulait se faire pardonner. Il se demanda pourquoi une rose noire... C’était la sienne, de fleur préférée. Et une rose noire dans une forêt ?!

Pour mettre fin à cette étrange situation, le quatrième année prit la parole.
« Bon. À moins que vous ayez d’autres questions, on va y aller... On doit retrouver mes affaires et aller manger. Merci encore. », murmura t-il d’une voix nettement plus douce que tout à l’heure. « Et, Hime-san, quand pourrais-je te rendre ta veste ? »

Luv Chandelier ne prononçait toujours pas un mot. Elle ne parlait que lorsqu’elle en avait envie, et préférait faire des mimiques. Pas sûr que ça plaise à Tir-machin, néanmoins... Mais elle semblait plutôt curieuse à son propos. Elle n’avait jamais côtoyé de si près un dragon vert, aussi communs soient-ils.
Bref... Sung Eun n’avait pas envie de rester ici. Alors ?

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