- « Dis Tír na nÓg... »

Le majestueux dragon vert tourna ses yeux intelligents vers sa dragonnière. Il était allongé sur le sol, abrité dans sa grotte alors que dehors la pluie tombait à renverse. Le vent soufflait comme s'il tentait par tous les moyens de déraciner la forêt entière. L'orage grondait au loin et pourtant Hime et Tír na nÓg ne semblaient pas s'en rendre compte. Les yeux noirs de la japonaise plongèrent dans ceux, dorés, de son dragon.

- « On sera toujours ensemble ? »
- « Oui. »

La japonaise posa sa main sur le museau du grand dragon vert.

- « Tu ne m'abandonneras jamais ? »
- « Jamais. »

Enlaçant la grande tête de son dragon, Hime sentit les larmes s'échapper de ses yeux.

- « Alors pourquoi est-ce que je me sens si triste ? »

Le dragon souffla doucement, comme pour rassurer sa dragonnière.

- « On en a fait du chemin tous les deux, hein ? »
- « Oh ça oui... »

Relevant la tête, Hime lâcha la tête de son dragon et s'écarta d'un pas. Sur son visage se lisait la tristesse et la peur mais plus fort que tout, la résignation et la fatigue.

- « Tu penses qu'il serait temps de... »

Le bruit d'un vase se brisant sur le sol réveilla en sursaut Hime. Ainsi tout ceci n'était qu'un rêve ? Se massant le crâne, la japonaise sortit de son lit, jeta un coup d’œil à sa montre pour y lire qu'il était près de neuf heures du matin. Ses cours commençaient à dix heures, la jeune fille prit donc une robe de chambre et sortit pour voir la raison de ce boucan dans la tour. Un deuxième année tentait sans grand succès de réparer les dégâts causés par son petit dragon vert. Lorsqu'il vit Hime, le jeune garçon s'excusa et lui expliqua que son dragon avait cassé le vase mais refusait de le reconnaître. Les dragons verts étant connus pour mentir sans cesse, cela n'étonna pas Hime qui était elle aussi passée par là. Serrant dans ses bras le gosse qui était au bord des larmes, Hime le consola du mieux qu'elle put en se rappelant les larmes qu'elle avait elle-même versé des années plus tôt.
A l'époque, Hime n'était que l'ombre d'elle-même, elle n'était qu'une gamine apeurée par son environnement, une gamine qui ne cesse de regretter ses choix. On lui avait attribué un œuf d'un magnifique vert dont elle avait prit soin, espérant secrètement que le dragon qui en sortirait l'aiderait à redevenir celle qu'elle avait toujours été avant d'arriver à Astahi. Mais si sa demande avait été exhaussée, ça n'avait pas été immédiat. Avant d'en arriver à leur complicité actuelle, le duo avait dû passer à travers des disputes, des crises d'hystéries, des crises de larmes, des coups et des morsures. Les professeurs eux-mêmes paniquaient en les croisant dans les couloirs, persuadés qu'ils allaient devoir déplorer la mort d'une jeune élève. Mais, contre toute attente, ce qui avait rapproché le duo c'était bien une autre dispute. Hime, persécutée à l'époque par un élève plus âgé, avait découvert au hasard que son dragon n'acceptait pas qu'elle se plie ainsi. Découvrant alors que malgré leurs trop nombreuses disputes, son dragon et elle-même tenait l'un à l'autre agit comme un stimulant sur Hime. Pour la première fois de sa scolarité, Hime réussit à prendre le dessus sur le grand dragon vert et, pour la première fois depuis sa naissance, Tír na nÓg se plia aux ordres de sa dragonnière. A partir de ce moment, Hime commença à s'affirmer et bientôt, la Justice s'invita dans les couloirs de l'établissement.

- « Hime ? On se retrouve dans le monde magique après les cours ? J'ai envie de savoir de quoi les dragons ont eu peur ! »

La japonaise tourna la tête vers Shizuka, sortant de ses souvenirs.

- « Je... Je ne sais pas si c'est une bonne idée... J'ai un mauvais pressentiment... »

Effectivement, Hime avait le cœur serré depuis qu'elle s'était levé. Elle se souvenait de son rêve mais ne se rappelait pas de la fin, or elle avait l'impression que la fin était très importante. Mais de quoi avait-elle voulu parler dans son rêve ? Et pourquoi se sentait-elle aussi mal ? Cependant Shizuka parlementa et à force de persuasion, elle donna rendez-vous à Hime dans le Lyric Treskri, à l'endroit où leurs dragons avaient paniqué quelques jours plus tôt.
L'après-midi passa à vitesse grand V malgré le malaise ressentit par Hime. Pour la première fois depuis longtemps, Hime ne se sentait vraiment pas bien. Elle sentait une menace peser sur elle sans réussir à pouvoir mettre un nom ou une raison dessus. Lorsque son dernier cours se termina, Hime se dirigea vers la forêt. Retrouvant Tír na nÓg en plein milieu de son territoire, il lui jeta un regard hésitant.

- « Tu me trouveras sûrement stupide mais... j'ai rêvé de nous cette nuit... »
- « Moi aussi... Tu te souviens de la fin ? »
- « On aurait fait le même rêve ? »
- « Ça arrive...Alors ? »
- « Je ne sais pas... je me suis réveillé en sursaut ce matin alors que tu disais quelque chose comme... "tu penses qu'il serait temps de..." et je ne me rappelle plus de la suite. »
- « Moi non plus... »

Les deux sentaient qu'ils avaient perdu un morceau important, qu'ils ne se souvenaient plus de ce qui importait vraiment dans ce rêve. Hime s'approcha de son dragon et le serra dans ses bras, comme si c'était la dernière fois qu'elle en avait l'occasion.

- « Shizuka veut qu'on retourne dans le monde magique... Là où vous avez paniqués... »
- « Il ne faut pas, Hime ! On s'en est tirés une fois, je ne pense pas qu'on pourra le faire une deuxième fois ! »
- « Se tirer de quoi ? De quoi avez-vous eu peur ? »
- « Je... Je ne peux pas te le dire. »
- « On doit y aller, Tír na nÓg, on a rendez-vous avec Shizuka. »
- « On ne devrait pas, Hime. J'ai un mauvais pressentiment ! »
- « Moi aussi... Mais on a pas le choix. »
- « On a toujours le choix... »

Néanmoins le dragon vert déplia ses ailes et une fois sa dragonnière sur son dos, il décolla et passa le portail menant au monde magique. Là le duo attendit un petit moment mais Shizuka et Sverak n'apparaissant pas, ils supposèrent que le noir et sa dragonnière étaient en retard. Ou alors ils étaient partis plus tôt ? Dans le doute, Hime poussa Tír na nÓg vers l'endroit où il avait sentit une présence fortement malsaine. Mais alors qu'ils approchaient de l'endroit fatidique, le dragon vert sentit brusquement la même présence, mais beaucoup plus forte, comme si l'ennemi s'était déplacé à très grand vitesse.

- « Il arrive ! » paniqua le dragon.
- « Mais qui ?! »

Mais le dragon, rendu fou par la panique, n'écoutait plus sa dragonnière et faisant un brusque écart extrêmement violent, il laissa tomber sa cavalière qui chuta vers le sol. Tír na nÓg sentit la présence malsaine arriver de plus en plus vite et abandonnant sa dragonnière, le grand vert prit la fuite. Hime, qui chutait vers le sol, vit son dragon disparaître. Et en regardant l'ombre disparaître et le sol se rapprocher d'elle, Hime se rappela la fin de son rêve :

- « Tu penses qu'il serait temps de s'arrêter là ? Qu'on cesse tout ? Qu'on disparaisse à jamais ? »

Et le sol happa le corps désarticulé de la japonaise. Hime n'eut même pas le temps de souffrir que déjà, le froid la pénétrait et le noir se faisait, à tout jamais.